Interview avec Karine Barclais, CEO du Pavillon Afriques
À l’occasion du Festival de Cannes, nous avons eu le privilège de concevoir et d’orchestrer un studio créatif d’exception sur le rooftop du prestigieux Five Seas by Inwood Hotels , en collaboration avec le média 100% Instagram @empoweredtalks.co dédié à l’empowerment féminin. Pensé comme une expérience immersive à la croisée de l’image, de l’engagement et de la visibilité médiatique, ce studio a été soutenu par une stratégie e-RP à forte valeur narrative. Quatre personnalités emblématiques du 7ᵉ art, Aïssa Maïga, Eliane Umuhire, Eugenia Kuzmina et Karine Barclais, se sont prêtées au jeu de l’objectif du photographe Martin Lagardère livrant des portraits à la fois puissants et authentiques. À travers des échanges intimes menés par la journaliste Françoise DIBOUSSI , elles sont revenues sur leurs parcours respectifs, inspirant la communauté Empowered Talks avec des messages porteurs de sens, d’espoir et de solidarité.
Fondatrice du Pavillon Afriques au Festival de Cannes en 2019, Karine Barclais est depuis devenue une figure incontournable de l’événement. Chaque année, à travers des projections, mais aussi des ateliers, des tables rondes, des sessions de pitchs de projets ou encore des masterclasses, l’entrepreneure française d’origine martiniquaise offre une vitrine et une plateforme d’échanges unique aux acteurs (comédiens, cinéastes, producteurs…) de l’industrie cinématographique issus du continent noir ou de sa diaspora.
Polyglotte, diplômée d’HEC où elle s’est formée à l’entreprenariat, Karine Barclais est aussi experte en commerce international et sciences économiques. Des compétences de haut vol qu’elle met volontiers au service de ces professionnels du film qui ont tant besoin d’être accompagnés et valorisés. Business woman déterminée, Karine Barclais est devenue par ailleurs une authentique passionnée. Rien d’étonnant donc à ce qu’elle ait choisi d’ouvrir cette édition 2025 du Pavillon Afriques en faisant honneur au réalisateur malien Souleymane Cissé, récemment disparu, avec la projection du film Hommage d’une fille à son père (A Daughter’s Tribute to Her Father, 2022) de Fatou Cissé. Pour Empowered Talks, elle est revenue sur six années de présence continue au Festival de Cannes et évoque ses ambitions pour le futur.
Depuis la création de Pavillon Afriques, quel regard portez-vous sur votre contribution à la promotion de l’industrie cinématographique ? De quel accomplissement êtes-vous le plus fière ?
Le parcours a été très excitant malgré les difficultés. Nous en sommes à la 6e édition et nous avons vu une vraie évolution ; au départ, il y avait plutôt des jeunes talents qui venaient pour se créer un réseau et maintenant on a des professionnels confirmés qui se proposent de transmettre leur savoir aux plus jeunes. Il faut dire que c’était un vrai challenge car je ne connaissais absolument rien au cinéma. L’idée de cette initiative c’était d’aider une industrie pleine de potentiel. Une industrie naissante mais qui est restée embryonnaire trop longtemps et qui ne parvenait pas à évoluer. Hier encore, quelqu’un me parlait d’un rapport de l’Unesco qui annonce que l’Afrique devrait générer 20 milliards de dollars dans quelques années car elle en a le potentiel. Oui mais encore faut-il que ce potentiel se réalise.
Pourquoi, selon vous, ce potentiel est-il justement si long à se manifester ?
C’est la faute des gouvernements, et je ne rate pas une occasion de leur dire puisque je fais beaucoup de plaidoyer auprès de ministres de la culture ou de présidents. C’est à eux de donner l’impulsion. Les talents sont là, la créativité est là, la passion est là de la part des artistes qui se démènent afin de réaliser des choses avec si peu de moyens. On se demande d’ailleurs comment ils font. Les Etats africains ont une responsabilité à ce niveau-là. Regardez comment en France, on protège les artistes, on protège les œuvres, on valorise le patrimoine culturel… Quand je vois que la plupart des salles de cinéma africaines ne diffusent pas de films africains, cela me révolte.
En effet, il reste encore fort à faire pour soutenir les cinémas d’Afrique. D’après-vous, quels sont les chantiers prioritaires ?
La première urgence, c’est de conclure des accords de co-production. Déjà entre les pays africains eux-mêmes, mais aussi avec des pays occidentaux. Ensuite, il faut créer des fonds dédiés à l’industrie du cinéma ; des fonds conséquents et non pas des sommes dérisoires qui ne serviront à rien. En outre, il faut une réelle volonté politique fondée sur une stratégie cohérente. Cela n’est d’aucune utilité d’intervenir de manière sporadique et dispersée sur les projets. Enfin, il est important de donner des moyens de postproduction ; c’est un comble de tourner sur le continent noir pour ensuite faire la post-production en France.
Vous savez, le Pavillon Afriques a deux vocations. D’une part, générer des films qualitatifs qui peuvent être vendus partout. D’autre part, créer les conditions pour que les étrangers viennent tourner en Afrique. Pour cela, il faut des incitations fiscales car l’Afrique a tant à offrir en termes de paysages. Cette année par exemple, au Festival de Cannes, on a mis en place pour la première fois un panel sur le cinétourisme. Or il n’y a aucun Africain sur ce panel. C’est triste ; cela montre le désintérêt général pour un continent qui est vraiment une mine de talents pour peu qu’on se donne la peine de s’y intéresser.
Un des enjeux cruciaux du marché actuel du 7e Art, dont votre programmation rend bien compte, est la technologie. Tant sur le plan de la création (IA, technologies immersives), celui du financement (blockchains, NFT), que sur celui de la distribution (streaming)... Mais, l’industrie cinématographique africaine a-t-elle seulement les ressources pour tirer avantage de ces évolutions ?
Absolument. Parce que tout le monde part du même niveau à ce sujet. Déjà, il y a deux ans, j’avais organisé des interventions sur les NFT, le web 3.0 et tout ça… Ne serait-ce que pour informer les gens sur ces nouveautés et pour générer de l’appétence. Cette fois-ci, on a consacré une journée entière à ces questions, en particulier sur l’usage de l’intelligence artificielle dans la création. Ce sont des technologies qui sont d’ailleurs déjà utilisées sur le continent, notamment dans l’animation. Cela dit, il y a des besoins en formation à prendre en compte et la nécessité d’instaurer un cadre légal pour protéger les œuvres créées avec l’IA.
Vous êtes également la créatrice d’Arts & Business Center, une école de formation en ligne dédiée aux métiers du cinéma. Rappelez-nous la genèse de ce projet. Comble-t-il vos attentes ?
J’ai fondé cette école dès la deuxième édition du Pavillon d’Afriques. J’ai simplement constaté qu’il y avait un besoin en ce sens car, au début, j’étais surtout approchée par des jeunes talents désireux de vendre et de faire diffuser leur travail. Or les retours que j’ai eus par la suite des distributeurs que j’avais sollicités, c’est qu’il y avait des problèmes de son ou de lumière sur les œuvres concernées. Aujourd’hui, l’école est assez loin de sa vocation première puisque finalement il y a beaucoup plus de non-Africains qui s’inscrivent à nos cours. Nous proposons une vingtaine de formations à destination des jeunes mais aussi des moins jeunes (des personnes qui souhaitent mettre à jour leurs connaissances ou se remettre à niveau), dispensées par d’éminents instructeurs, multi-récompensés (Oscars, Emmy Awards, SAG Awards…) et qui sont toujours en activité. L’idée, c’est d’apprendre des meilleurs et de prodiguer des cours très pratiques.
A présent, je m’adresse à la cinéphile aguerrie que vous êtes désormais : quelle est votre œuvre favorite de la sélection cette année et pourquoi ?
Nous avons une très belle sélection de films cette année. Mais s’il faudrait n’en recommander qu’un, je partirais sur Osamede du Nigérian James Omokwe qui a fait sa première au Pavillon Afriques ce 17 mai. C’est une épopée historico-fantastique qui se déroule en 1897 au Royaume du Bénin, sur une jeune orpheline qui se découvre des supers pouvoirs et qui s’en sert pour libérer son peuple du joug colonial britannique. Il sort un peu du lot car c’est un genre peu courant dans le cinéma africain.
Si on vous dit « prendre le pouvoir », qu’est-ce que cela vous évoque ?
Prendre le pouvoir sur soi, aller au-delà de ses capacités pour se surpasser littéralement. Car si on prend le pouvoir sur soi, alors on peut faire bouger les choses.
Crédit photographique : Martin Lagardère
MUA : Fred Mécène pour Frédérique Mécène Beauty